Radicalité de gauche

Dans un article récent du Monde, il a été rapporté la volonté affichée des groupes antifas parisiens de canaliser les modes de protestations et donc les débordements quasi-systématiques par  les «cortèges de tête» lors des manifestations. L’ultragauche est divisée car toutes les familles de la gauche sont entrées dans l’inconnu, dès lors que fût entendu l’impact de la chute du mur de Berlin. L’effondrement de l’URSS n’a pas eu comme seule conséquence la victoire du modèle capitaliste, il a aussi rendu illégitime et inintelligible la contestation dans le camp des victorieux, en érigeant la démocratie de marché comme modèle universel. La disparition totale ou partielle des partis communistes occidentaux a propulsé la gauche dans une situation inédite. En l’absence du PC, elle perd son outil pour la propagation de la culture politique populaire qui assurait la continuité historique et territoriale des idées anticapitalistes.  Cette clarification est devenue complexe voire impossible, et plonge la radicalité de gauche dans la confusion, tant elle compile dans ses franges les plus actives l’héritage du passé sans toujours en maîtriser les contours. Il s’agit donc de saisir que la «radicalité de gauche» ne correspond pas à la «gauche radicale» mais à une «ultragauche» dont il faut éclairer formes et fonds. Gauche, extrême gauche, ultragauche: délimitations Il est peu aisé de trouver un militant qui se définirait comme appartenant à la «gauche de la gauche» ou «d’extrême gauche». Nous n’en trouverions quasiment aucun qui accepte que son activisme soit englobé dans l’appellation «ultragauche». Dans la France de 2017, force est de constater que ceux que le sens commun classe à «gauche», soit récusent ce terme pour eux, soit rejettent son application vers d’autres. De prime abord, la gauche regrouperait les forces politiques égalitaires, ce principe impliquant la validation du suffrage universel, alors que l’extrême gauche s’incarnerait dans l’ensemble des groupes défendant une vision alternative de la société exogène au légalisme («leur morale et la nôtre» selon la formule trotskiste); l’ultragauche resterait ancrée dans une volonté de transformation des règles sociales, de ses rapports de pouvoir, tout en s’affranchissant d’une organisation centralisée. Une telle représentation est toutefois porteuse de nombreuses contradictions. En premier lieu, lorsqu’il est fait référence à la pratique extraparlementaire comme élément validant la désignation d’extrême gauche. En effet, s’il fallait accepter cet aspect comme discriminant, alors cela placerait de facto Lutte Ouvrière ou le Nouveau Parti Anticapitaliste comme ne relevant pas de l’extrême gauche, puisqu’exerçant leurs activités dans le cadre de l’article 4 de la Constitution. Or, si leurs objectifs et programmes sont bien porteurs d’un projet particulier et d’une vision alternative de la société, ces deux partis se soumettent régulièrement aux scrutins et ne pratiquent plus la violence politique –même s’ils ne demeurent pas convaincus par «les principes de la souveraineté nationale et de la démocratie» exprimés par l’article 4. Cette volonté de circonscrire l’ensemble des mouvements a donné naissance à de nombreuses tentatives. Aucune n’est pleinement satisfaisante mais toutes admettent leurs propres incomplétudes. Après la Seconde Guerre mondiale, c’est la contestation étudiante et ouvrière des années 1960 et 1970 qui a catalysé de nouvelles formes de lutte qui étaient en rupture avec le centralisme des grands partis et des syndicats. On désignait alors ces mouvements comme «autonomes». Les autonomes (il serait plus juste de parler «d’autonomistes») ou les «totos», selon une dénomination usuelle mais non forcément bienveillante, constituent généralement le courant auquel il est fait référence lorsque l’on utilise l’appellation «ultragauche». Il est né en Italie au début des années 1970 en réaction au centralisme du puissant Parti Communiste Italien.  L’utragauche n’est donc pas un mouvement unifié, unitaire et suivant une doctrine, un leader ou un groupe faisant office de leadership. Cette absence de leadership ne peut toutefois occulter l’émergence de personnalités qui influencent localement des groupes actifs. L’ultragauche est une mouvance active, parfois violente, mais isolée et qui n’est pas en mesure de produire une massification de la radicalité. Cet isolement est le résultat de l’atomisation de la radicalité de la gauche. L’unité, la doctrine et le leadership qui lui font défaut proviennent de la fragilité des passerelles existantes entre gauche traditionnelle (autrefois le PCF, il y a peu le Front de Gauche), extrême gauche (autrefois la Gauche Prolétarienne ou la LCR, aujourd’hui le NPA ou Lutte Ouvrière) et l’ultragauche activiste. L’ultragauche est donc un espace isolé, polycratique et pluriel.