Bricoler la norme du pouvoir d’agir des patients pour maintenir l’idéal-type du patient autonome en rusant

A l’idée de bricolage, il est possible de rajouter celle de ruse comme stratégie de coping face au refus éventuel des patients de se voir administrer des soins. J’emprunte la notion de ruse telle qu’utilisée par Hennion et ses collègues (2012) pour rendre compte de leur ethnographie de la relation de soins à domicile. S’imprégnant des cadres de pensée goffmaniens (en particulier de son usage de la fiction, 1973) et ceux de Paul Ricoeur sur le récit (1983), les auteurs envisagent la scène du soin à domicile comme porteuse d’un paradoxe fictionnel : « c’est justement pour préserver malgré tout une autonomie dont le sens même s’effrite et pour assurer une protection dont la personne ne voit plus forcément elle-même l’opportunité que, sur le tas, selon les problèmes concrets à résoudre en situation, il faut empiéter sur l’autonomie ou il faut accepter certaines prises de risque pour arriver à « sauver » l’essentiel, c’est-à-dire à maintenir une forme possible d’autonomie et de protection compte tenu de l’état des choses » (Hennion et al., 2012 : p. 329). Ces prises de risques, les auteurs leur donnent un nom contribuant à leur reconnaissance et leur valorisation : la ruse, «vue non pas comme une tromperie, mais comme un art du faire faire » (p. 326), voire du faire avec. C’est de cela dont il s’agit ici : un ensemble de dix ruses6 logées dans des micropratiques de soins permettant de maintenir l’idéal-type du patient autonome et ce faisant l’amenant à faire et à coopérer : 1. Stimuler les patients pour maintenir leurs capacités ; 2. Faire de l’humour pour instaurer un climat de confiance favorable à la coopération ; 3. Utiliser la communication non-verbale pour interagir avec les patients ; 4. Savoir lire entre les lignes grâce à l’observation pour favoriser le faire faire ; 5. Détourner les patients de leurs obsessions afin de parvenir à un échange « normal » ; 6. Faire intervenir la famille pour obtenir la coopération du patient ; 7. Avoir recours à la figure d’autorité du médecin pour contrer la famille au service des intérêts du patient ; 8. Argumenter vis-à-vis de la famille pour préserver la volonté du patient ; 9. Tempérer pour faciliter la coopération des patients ; 10. Surveiller / forcer pour sauver les capacités restantes et préserver la sécurité du personnel de soin.